dimanche 29 septembre 2019

Martine Roffinella Le Fouet (Phébus - 5 avril 2000)

Martine Roffinella Le Fouet
Phébus (5 avril 2000)



Martine Roffinella

Martine Roffinella est née le 21/08/1961. À vingt-six ans, elle publie son premier roman, "Elle", repéré et lancé par Bernard Pivot dans son émission littéraire "Apostrophes".
Couverture d'une édition du roman "Elle" de Martine Roffinella
Elle est actuellement considérée comme l’une des grandes représentantes de l’érotisme saphique dans la littérature française.



Dans "Le Fouet", publié une douzaine d'années plus tard, la narratrice, victime d'abus et d'humiliations, décide de reprendre le contrôle de sa vie et de se venger. Elle s'achète un fouet et devient une dominatrice à la recherche de dames fortunées et d'hommes lubriques afin de les soumettre à ses fantasmes. En tant que dominatrice, elle déshumanise complètement ses victimes en leur plaquant un numéro qui leur sert d'identité. 
La couverture d'une des éditions du roman
À sept ans, la narratrice est fessée cul nu devant ses camarades par une institutrice perverse qui en jouissait publiquement (souvenir réel ?). En fait, cette fessée déculottée devant toute la classe, plus ou moins recherchée par la narratrice qui a bravé son enseignante, est plutôt bien vécue par l'élève, avec même une certaine satisfaction, la sensation d'être maîtresse du jeu et de la jouissance de la fesseuse... jusqu'au moment où discrètement l'institutrice la traite de pute.
Et là toute la tension sensuelle et presque érotique du moment s'écroule et devient une tragédie à l'échelle de l'enfance. Je vous laisse lire le livre et découvrir cette fessée scolaire, car je préfère que ce blog ne mette pas l’accent sur ce genre de fessée plus que nécessaire pour les explications ou la description d’une dynamique. Pourtant, ne le nions pas, j'aurais beaucoup aimé être petite souris pour assister à une telle fessée, d'autant qu'il indique clairement aussi -autre originalité des écrits de
Martine Roffinella- que le plaisir d'être fessée déculottée devant tout le monde, y compris par une personne hostile qu'on défie, peut se ressentir très précocement.
La fin de cette fessée, vécue comme une défaite, avec un renversement de domination, puis l'exposition de cette défaite devant toute la classe, ne sera jamais pardonnée par la narratrice.

Quelques années plus tard, et c’est là le sujet de l’extrait, elle finit par retrouver son institutrice, devenue une vieille dame, pour une fessée pour le moins originale en guise de revanche, mais aussi de réponse volontairement humiliante à l'insulte reçue qui a jadis tout fait basculer. On assiste là à une mise en scène très particulière qui fait tout le sel de la scène.
Martine Roffinella
 Cette originalité dans un monde de la fessée où on fesse plutôt des individus jeunes, le plus souvent soumis à des personnes pourvues d'autorité, plus rarement par jeu, méritait qu'on s'y attarde car ce renversement des rôles, des dominances et des images préconçues (renversement double en plus, si on a en mémoire la fessée scolaire) ne se produit pas souvent dans la littérature, où on imagine plutôt l'ancienne élève devenue grande venir se faire à nouveau châtier par son ancienne autorité.
De plus, cet épisode se produit au travers d'un regard empli de dérision cruelle sur le vieillissement, le personnage de l'institutrice, devenue une simple « fille n°3 », et sur la déchéance de l'autorité. Il est probable qu’il ne plaira pas à tout le monde, mais la littérature met aussi en scène ce genre de fessée.

J'ai volontairement respecté l'absence partielle de ponctuation du texte.



J'appelle le garçon de café et fais apporter un verre de Marie-Brizard sur la table de la fille n°3.

Elle s'écrie : je n'ai rien commandé ! Le garçon me désigne; elle prend un air offusqué. Remportez cette boisson, monsieur. Pour qui me prenez-vous ?

Le garçon hésite, m'interroge. Je maintiens mon ordre. Il repose le verre sur la table.

Mais enfin c'est un monde ! Puisque je vous dis que je n'en veux pas !

Je la rejoins alors, silencieuse, impénétrable, froide comme le sabre. Je m'installe sous ses yeux éberlués. J'ouvre sa boîte à cigarettes, en prends une et l'insère lentement, érotiquement, dans son embout d'ivoire.

C'est bon, dit-elle à l'employé de sa voix chevrotante. Laissez-nous.

Puis à mon encontre : quel toupet ! Nous avons frisé le scandale. J'aurais pu prévenir la police.

Buvez.

Cherchez-vous à me terroriser ?

Buvez.

Si cela peut vous faire plaisir. Mais ensuite vous déguerpirez, n'est-ce pas ?

Encore une gorgée

Je ne peux pas. Je ne supporte pas les alcools forts.

Encore une gorgée.

Pendant qu'elle sirote, j'extirpe mon fouet de son étui et le balade entre ses genou; sur sa gaine. Elle frémit.

Cessez immédiatement, murmure-t-elle.

Buvez. Buvez tout.

Mon fouet s'amuse. Il détecte le clitoris, plus vivace qu'il ne l'imaginait. J'ignore si elle mouille mais le soupçon de cette éventualité me réjouit. La fille n°3 est muette; son verre vide. Elle chancelle dans sa dignité. Elle ne lutte plus contre son désir. Son désir obscène d'être prise, défoncée, limée.

Allons chez moi, bredouille-t-elle.

Non. Ici. Dans les toilettes.

Et si on nous surprend ?

Eh bien vous serez vue.

Pensait-elle que j'allais la suivre ou lui offrir une chambre d’hôtel ? Elle qui m'exposa, cul nu, sur l'estrade de la salle de classe ?

Elle qui m'abandonna, la culotte sur les chaussures, au jugement de tous ?

Je me lève la première, sûre de sa servilité. Effectivement, je l'entends qui descend les marches ouatées qui conduisent aux toilettes pour dames. Elle veut m'embrasser.

Pas question.

Elle veut s'enfermer dans l'une des cabines individuelles, baiser sur la cuvette.

Non. Retire tout. Absolument tout. Et penche-toi au dessus du lavabo. Sans le fouet. La main bien à plat. Une vingtaine de claques de chaque côté.

Elle bêle. Puis je reprends mon fouet et la sodomise, sans prévenir, sauvagement. Hurlements dissonants. Jouissance et douleur. Orgasme et humiliation.

Je m'enfonce. Je sombre dans cet orifice béant qui, après la blessure, réclame mes allées et venues, mes pressions accrues, mes déchaînements.

La fille n°3 jouit une seconde fois. Sa perruque glisse. Son maquillage devient une pâte défraîchie, comme poreuse.

Des pas résonnent. On arrive. Toute à son plaisir, elle n'entend pas et demeure penchée au-dessus du lavabo, les fesses écartées. Je récupère mon fouet. Elle proteste. Encore, s'il te plaît. Encore. Elle répète toujours ce « encore » lorsque je m'éclipse et qu'une autre vieille dame ouvre la porte des toilettes.

J'affiche un air décontenancé.

A cet âge, c'est navrant, dis-je à l'intruse. Bonsoir madame.
Près du savon liquide, j'ai naturellement déposé un billet.
La couverture d'une autre édition du roman

Un peu "trash" donc, cette fessée de revanche contre la "fille n°3", volontairement dépersonnalisée dans le récit alors qu'au contraire elle est l'objet d'une vengeance très personnelle. Une autre forme de thérapie, cette fois pour la narratrice à qui l'auteur fait administrer la fessée.
On peut mesurer dans ce roman tout l'impact psychologique que peut revêtir la fessée : d'abord paradoxalement objet de jouissance et de domination pour la narratrice alors que c'est son institutrice qui est censée vivre ces ressentis, elle conduit, sur un simple mot, à un renversement brutal des sensations et des émotions, puis à un impact fort sur le devenir et les actes de la petite fille devenue adulte, et enfin une forme de thérapie probablement très imparfaite via une vengeance au décorum volontairement sordide et avilissant.
 

Une dernière couverture d'une édition du roman

 Comme pour les autres articles, vous pouvez naturellement laisser vos impressions et questionnements ou, si vous souhaitez une meilleure discrétion, me joindre personnellement via ce blog.

4 commentaires:

  1. Le mot avilissant que vous utilisez convient tout particulièrement à cette phrase dans la scène des toilettes "Toute à son plaisir, elle n'entend pas et demeure penchée au-dessus du lavabo, les fesses écartées." Avez-vous essayé de joindre Martine Roffinella ou savez-vous si elle a connaissance de votre blog ?

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  2. J'avoue ne pas avoir essayé de la joindre et je ne sais absolument pas si elle a connaissance de mon blog, n'ayant en général aucune idée de l'identité des personnes constituant mon lectorat.
    Si nous avions cette possibilité de nous joindre, peut-être la discussion pourrait-elle être fort intéressante.
    Vous savez, je vis quelque peu en marge du monde littéraire... et d'un peu tous les autres mondes d'ailleurs. Un vrai provincial, quoi ! ;)
    Je suis très heureux de constater que vous avez apprécié ma façon de qualifier les impressions laissées par la lecture de certaines phrases. Preuve que Martine Roffinella a dû très bien faire son travail d'écriture, si elle arrive à susciter chez des personnes qui ne se connaissent pas des ressentis voisins, au point où elles se rejoignent sur le mot qui illustre une de ses descriptions.
    La connaissez-vous ?

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  3. Non, pas du tout. Je ne connaissais même pas son nom avant d'avoir lu votre article.
    Il semble qu'elle se soit maintenant dirigée vers la lecture de la bible.

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  4. Ses châtiments auraient-ils maintenant une origine divine ?
    En tous cas, nous avons reparlé de ce livre à un Munch récent.

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